Archives mensuelles : novembre 2016

Le miracle quotidien

La recherche opérationnelle est la science de l’optimisation des tâches dans un processus, souvent industriel.

Exemple : à peine réveillé, l’une de mes premières tâches de la journée consiste à faire le plateau du petit déjeuner que je porterai ensuite dans le lit conjugal. Le retour dans le lit conjugal dans les meilleurs délais avec le plateau, le sourire de Claire, les premiers échanges d’une journée qui commence bien seront les récompenses, chaque jour renouvelées, de ce modeste travail bien fait.

Arrivée, les yeux encore embrumés, devant le plan de travail de la cuisine : sortir le plateau, deux tasses et deux verres, deux petites cuillères et deux sucres, ouvrir le frigo, sortir le lait et le jus d’orange, verser le lait dans les tasses, mettre les sucres, mettre le tout dans le micro-onde pendant 45 secondes. Pendant ce temps, remplir les deux verres de jus d’orange, sortir deux capsules de Livanto, vérifier au passage le niveau d’eau dans la machine Nespresso. Rien n’est pire, le matin, que lorsque le machine se désamorce. Le temps perdu coûte très cher. La qualité du sourire s’en ressent, il peut même être purement et simplement remplacé par un « Ben, qu’est-ce que tu as foutu ? Tu en as mis, du temps… ». La journée démarre alors sur un très mauvais pied et pourrait même directement embrayer sur un « Tu as vraiment une sale gueule, il est temps que tu ailles chez le coiffeur », première passe d’armes d’un conflit dévastateur.

Il est  donc crucial de maîtriser cette première tâche du matin, de l’optimiser. D’autant que, mal réveillé, l’opérateur risque de voir le moindre problème dégénérer en une cascade de dominos pouvant conduire à l’effondrement d’une vie paisible.

Variantes : Parfois, en vacances surtout ou le week-end, ou encore quand on n’a pas dîné la veille, il peut s’introduire dans le processus une nouvelle tâche qui, à l’arrivée, doit produire deux ou quatre tartines grillées, avec beurre et confiture. La présence d’Alfred le chat dans le lit conjugal nécessite peut-être également la mise en place sur le plateau  d’une coupelle avec son petit déjeuner à lui – il ne prend ni café au lait, ni jus d’orange. D’autres variantes catastrophiques peuvent également survenir : la boîte de sucres est vide, plus de jus d’orange, le lait a tourné !

L’exécution optimale de la préparation du petit déjeuner implique donc que l’on a vérifié au préalable l’état des stocks (café, lait, sucre, jus d’orange, niveau d’eau dans la cafetière). Dans l’idéal, ceci peut même avoir été fait la veille, voire quelques jours plus tôt s’il s’agit de prévoir l’arrivée à temps du Chronopost afin d’éviter de se retrouver en rupture de capsules. Dans le cas d’une préparation optimale la veille au soir, on peut même peut-être de sortir d’avance le matériel : capsules, sucres, verres, tasses, plateau.

Il faut enfin noter que, quand on recherche à trouver une portée générale au résultat optimisé par trente années d’expérience, on constate malheureusement assez vite que lorsqu’il est adapté à un autre contexte, la maison de Keremma, par exemple, le rituel risque d’être assez profondément modifié, pour la simple et bonne raison que le micro-ondes et la machine Nespresso ne sont pas dans la même pièce que le frigo et les placards.

Il est par contre possible de chercher à comprendre le processus d’optimisation en définissant quelques termes de sorte que la méthode acquise pour optimiser la production du plateau du petit déjeuner puisse être appliquée, par exemple, à la construction d’un pont.

Un peu de vocabulaire

Nous allons préciser un peu le vocabulaire dans le contexte de l’élaboration des diagrammes GANTT et PERT qui restent deux outils fondamentaux de la Recherche Opérationnelle.

La méthode PERT (Project Evaluation and Review Technique) consiste à identifier les tâches élémentaires d’un projet en identifiant leur durée ainsi que les étapes de début et de fin de chacune d’elle. On réalise ensuite un réseau représentant les dépendances des tâches les unes par rapport aux autres. On cherche ensuite à identifier les chemins critiques, c’est à dire les suites d’étapes optimisées de telle sorte que tout retard dans l’exécution de l’une des tâches se traduit par un retard sur l’ensemble du projet.

Tâche

Une tâche évolue d’une étape initiale à une étape finale. Elle est repérée par son nom et sa durée. Elle est représentée par une flèche entre deux étapes. On notera au passage que le coût de la tâche n’est pas un paramètre déterminant pris en compte dans l’élaboration du PERT.

Nom
de la tâche
Description Temps
(secondes)
A sortir le plateau 3
B sortir les tasses 3
C sortir les verres 3
D sortir le lait 3
E verser le lait dans les tasses 4
F sortir le jus d’orange 3
G verser le jus d’orange dans les verres 3
H mettre le sucre dans les tasses 2
I sortir deux petites cuillères et les mettre dans les tasses 3
J mettre les tasses au micro-onde 40
K préchauffer la machine Nespresso 40
L faire un café long dans la machine Nespresso 40
M faire un café long dans la machine Nespresso 40

 

La description des tâches pourrait se faire avec nettement plus de finesse. On pourrait par exemple préciser que la tâche J comprend l’ouverture de la porte, le transport des tasses depuis le plan de travail jusqu’au four mico-ondes, la programmation du minuteur sur 40 secondes, la cuisson, l’ouverture de la porte du four, le transport des tasses depuis le four jusqu’à la cafetière, ou jusqu’au plan de travail où elle est mise en attente, … On peut ainsi réaliser des zooms dans un diagramme PERT en rassemblant plusieurs tâches dans une même tâche plus globale et avoir ainsi une vision du projet sur quatre ou cinq grandes étapes, alors que dans son détail, le projet en comporte des centaines, voire des milliers.
Sauf pour très peu de gens, le fait de savoir que la production du plateau du petit déjeuner prend moins de trois minutes est amplement suffisant.

Etape

Une étape marque le début et/ou la fin d’une tâche. Elle est repérée par son nom et par les dates « au plus tôt » et « au plus tard » de  l’étape.

Un exemple d’optimisation

On comprend vite que les tâches critiques sont :

J : réchauffer le lait dans le micro-ondes  (40 secondes)
et deux fois
K, L et M : Préchauffer la machine Nespresso et faire deux cafés longs (40 secondes ×3)

À moins d’acheter une seconde machine Nespresso, il sera impossible de produire le petit déjeuner en moins de 120 secondes. En faisant l’investissement d’une seconde machine, ce temps pourrait sans doute descendre sensiblement, mais probablement pas à 80 secondes car les autres tâches. La dépense, la main d’œuvre supplémentaire nécessaire ne rendent pas nécessairement cette option très réaliste.

Diagramme de GANTT (du nom de son inventeur)

Une fois terminé le travail sur le réseau PERT, on représente volontiers le diagramme de GANNT, qui montre mieux le déroulement des tâches.

 

La recherche opérationnelle a été reconnue et nommée comme une branche à part entière des mathématiques au cours de la seconde guerre mondiale. À l’origine utilisée dans le contexte des opérations militaires, elle est appliquée aujourd’hui dans de nombreux secteurs de l’activité humaine, et tout particulièrement dans le secteur industriel. L’exemple présenté ici concerne essentiellement les questions particulières de la gestion de projet, de l’élaboration d’un emploi du temps ou encore de l’ordonnancement de la production. La recherche opérationnelle s’applique à de nombreux aspects de l’activité humaine, préoccupée par l’optimisation de ses ressources.